Par Thierry Burlot (1), Carole Saout-Grit (2), Tangi Saout (3)
« L’adaptation sans vision, c’est de l’agitation inutile » Erik Orsenna, 2019.
Face aux réalités du changement climatique, notre principal défi aujourd’hui est d’imaginer comment s’y adapter. Il faut y voir un des enjeux majeurs de notre avenir, mais aussi une extraordinaire opportunité pour la Bretagne!
Les conséquences du changement climatique s’observent chaque jour en Europe et dans le monde : records de chaleur, tempêtes, inondations, feux de forêts, élévation du niveau des mers… L’urgence climatique est réelle. Elle menace notre environnement, notre santé, notre alimentation, notre bien-être, notre économie…et la Bretagne n’est pas épargnée. Voilà la situation telle qu’elle est, telle que nous la vivons aujourd’hui et qui constitue le point de départ de notre réflexion. Mais l’heure n’est plus au constat, il faut agir. En Bretagne comme ailleurs, les trois principales questions qui se posent sont les suivantes :
- Comment imaginer la résistance de notre territoire, face aux bouleversements déjà à l’oeuvre?
- Comment agir concrètement, localement et au quotidien ?
- Comment transformer ce qui semble être un défi insurmontable, en une véritable opportunité créatrice de valeurs?
Pour répondre à ces trois grandes questions, il est nécessaire de porter une vision globale de ce que doit être la transition écologique. Cette vision doit s’accompagner d’objectifs concrets et réalistes. Nous sommes convaincus q’il n’y aura de transition écologique que partagée par tous, apportant des perspectives d’avenir socialement justes et économiquement équitables ; il n’y aura de transition écologique en Bretagne que si des solutions positives prennent place sur tout le territoire, de la plus petite des communes à la plus grande des métropoles.
Redéfinir le sens des mots
Face à la multitude d’informations, il est important de commencer par se donner une définition commune de la transition écologique. Cela permet de comprendre des notions parfois utilisées à mauvais escient. Cela permet en outre de poser de manière claire des concepts trop souvent déformés par l’émotion que nous ressentons face à l’urgence écologique.
Il nous semble donc important de commencer par re-définir trois mots-clés qui résonnent presque chaque jour dans l’actualité quand il s’agit du changement climatique : transition, écologie et résilience.
Tout d’abord la transition; c’est un passage, d’un état à l’autre, qui se fait par étapes. La transition n’est pas une rupture brutale mais un cheminement par paliers et par états intermédiaires pour conduire le changement.
Ensuite l’écologie; l’écologie est une science au même titre que la physique, la chimie, la biologie… Elle a pour objet les relations entre les êtres vivants (animaux, végétaux, micro-organismes) et leur environnement, ainsi que leurs interactions avec les autres êtres vivants.
Enfin la résilience dont on parle tant, est une valeur physique. Elle reflète la propriété d’un matériau à retrouver sa forme après avoir été comprimé, déformé ou soumis à des pressions extérieures.
L’association de ces trois mots – transition-écologie-résilience – est née en 2008 des travaux de Rob Hopkins, docteur en sciences humaines et sociales et enseignant anglais.Dans son « Manuel de la Transition », il réfléchit aux moyens envisageables pour passer d’une dépendance au pétrole à une autonomie locale dans un contexte de réchauffement climatique. Ainsi naît le concept de « transition écologique » et apparait la notion de résilience. Rob Hopkins insiste sur cette dernière notion de résilience, en donnant des outils pour augmenter notre capacité à perdurer malgré les crises économiques et/ou écologiques extérieures.
La transition écologique est donc concrètement une évolution vers un nouveau modèle économique et social de développement durable ; un développement harmonieux qui renouvelle nos façons de consommer, de produire, de travailler, de vivre ensemble pour faire face aux grands enjeux environnementaux. Cette notion propose de répondre de manière vertueuse, aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.
La transition écologique doit devenir la culture civique de la Bretagne
Faire face aux bouleversements environnementaux et climatiques participe de trois grands enjeux :
- L’urgence écologique, qui inclue les catastrophes naturelles, les pollutions et autres destructions environnementales ainsi que la nécessité de préserver notre biodiversité marine et terrestre
- La raréfaction des ressources, en particulier celles en eau et en énergie
- Le changement climatique à proprement parlé, qui accentue notre besoin de parer à l’urgence écologique et à la préservation de nos ressources.
De nombreux chantiers de la transition écologique sont menés parallèlement dans différents domaines : l’agro-alimentaire, l’énergie, l’industrie, les transports et la mobilité, l’urbanisme et l’équilibre des territoires, la préservation de la biodiversité. Ces chantiers s’accompagnent souvent d’une fiscalité et d’une règlementation contraignantes.
Pour autant, chacun – du décideur au particulier en passant par l’industriel ou l’agriculteur – essaie d’agir le plus concrètement possible. Mais il faut constater que les efforts de tous ne suffisent plus face à l’urgence, se contredisent parfois faute de coordination globale. Ces derniers temps, des crispations et incompréhensions entre secteurs d’activité, territoires, générations, entrainent des tensions qui menacent notre paix sociale et notre démocratie. Les Transitions écologiques doivent se conjuguer au pluriel, toutes en même temps et à toutes les échelles du territoire. Il faut articuler toutes nos actions en conjuguant environnement, économie et société de manière transversale pour créer de la valeur et du bien-être pour tous.
En Bretagne, nous avons la chance d’avoir une région riche d’une mosaïque de paysages, d’une diversité d’expertises et de savoir-faire, d’un mélange culturel attaché à ses terroirs et ouvert au monde.
Notre région a une échelle pertinente pour expérimenter un nouveau modèle. Nous ne devons pas avoir peur du changement, mais accepter sereinement de changer de posture. Nous devons avancer positivement et garder confiance en nos capacités individuelles et collectives. Nous pouvons transformer ce qui peut paraitre comme un risque de perdre ce que l’on connait et ce que l’on maitrise, en une véritable opportunité afin de créer, d’innover, et d’inventer nos conditions de bien vivre ensemble demain. Face au changement climatique, nous avons par la transition écologique une formidable opportunité de se retrouver sur un projet commun. Nous devons faire de la transition écologique la nouvelle culture civique de la Bretagne.
Inventer les conditions d’une filière pour une transition écologique heureuse en Bretagne
Une fois ces éléments posés, la question à résoudre est donc : comment construire cette culture civique? La réponse n’est pas simple ; elle n’existe même pas.
Les actions menées pour la transition écologique fonctionnent pour l’instant de manière cloisonnées, dans une logique de silo sur les différents chantiers parallèles. Notre idée est donc de mettre en réseau l’ensemble des initiatives, de mettre en lien les bonnes pratiques et les lieux, de créer in-fine une nouvelle filière de la transition écologique en Bretagne.
Si on entend par filière, un ensemble d’activités nourries d’une même matière première et qui s’enchainent de façon coordonnée pour parvenir à la création d’un produit, il faut remarquer qu’il existe peu de vraies filières en Bretagne. Il y a par contre de riches et nombreux secteurs ou branches d’activités sur tout le territoire et à toutes les échelles – du particulier à l’industriel en passant par la recherche et le développement.
La mise en place d’une nouvelle filière de la transition porte en elle des atouts. Elle apporterait une vision globale de dimension régionale à haute valeur ajoutée, insérée au niveau européen et mondial. Elle permettrait de créer du lien et du sens entre les différents secteurs, en utilisant les énergies individuelles au service de la force du collectif. Cette filière serait constituée de différentes mailles, de nouvelles actions qui embrasseraient les chantiers de la transition de manière transversale et systémique. Ces actions sont à inventer et à orchestrer ensemble. La clé du succès est d’aboutir à la création d’un langage commun, accessible et compréhensible, et d’une culture partagée de la transition.
Cette filière de la transition peut être aussi la plateforme qui porte nos utopies pour une Bretagne de demain, pour, au sein de l’Europe et du Monde, avoir une Bretagne d’avance…..
Aussi, nous faisons le souhait d’une transition écologique heureuse en Bretagne. Nous appelons de nos voeux à la création et à l’expérimentation d’une nouvelle filière de la transition écologique en Bretagne pour gagner le défi climatique et inventer l’avenir de notre territoire.
(1) Thierry Burlot est vice-président du Conseil Régional de Bretagne, chargé de l’environnement, eau, biodiversité et climat et co-responsable du groupe de travail Breizh Transitions du Breizh Lab des progressistes bretons, laboratoire d’idées pour l’avenir de la Bretagne (2) Carole Saout-Grit est océanographe, directrice de Glazeo et d’Océans Connectés, et co-responsable du groupe de travail Breizh Transitions du Breizh Lab des progressistes bretons, laboratoire d’idées pour l’avenir de la Bretagne (3) Tangi Saout est architecte, expert de la fabrique des territoires et dirige Architecture & Culture Urbaine . Il est également maitre de conférences associé à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Bretagne.