Intervention de Jean-Yves Le Drian – Dimanche 7 avril 2019 – Saint-Brieuc
Chers Amis,
Le 3è essai sera donc le bon.
Merci de consacrer votre dimanche matin à constituer le Breizh Lab des progressistes bretons et d’avoir répondu à l’appel que j’avais lancé en décembre dernier.
J’ai pris cette initiative après en avoir parlé plusieurs fois avec certains d’entre vous parce que je pense que la Bretagne a une responsabilité historique dans cette période de fragmentation, de dislocation, de ruptures des équilibres, de destruction des valeurs (républicains/humanisme) dans cette période de repli sur soi, en un mot, dans cette période de régression.
Au cours des dix derniers jours, j’ai été aux Nations Unis à New-York, puis à la réunion des Ministres de l’OTAN à Washington, et j’ai présidé la réunion des Ministres des Affaires étrangères du G7 à Dinard. Ces déplacements m’ont conduit à un constat : il existe un mouvement mondial de repli sur soi, de régression.
Nous avons d’abord pensé que le Brexit, Trump, la montée des populismes en Europe, étaient un mouvement de fond qui puisait ses racines dans des causes communes : les perturbations liées à la mondialisation, des identités bousculées, la perception d’un accroissement des inégalités et, pour tout dire, le sentiment de ne plus maîtriser son destin.
Tout cela est vrai, mais il faut le reconnaître, j’en suis désormais convaincu, qu’il existe en plus une coordination des forces régressives. Il existe un réseau, animé par des convictions fondées autour du rejet de l’autre et du repli sur soi. Ces gens ont leurs médias, ont des gouvernements pour les soutenir, ils ont des cercles de sociabilité, des think tanks. Ils sont financés.
Ce sont ces forces qui disent «mort à l’ONU», «mort à l’Union Européenne», «mort à la démocratie ». Et ce repli sur soi que l’on voit à l’échelle globale, il existe au niveau local. Et l’un se nourrit de l’autre.
Je le sentais, j’en suis désormais convaincu. C’est pour cela qu’il faut lutter contre ce mouvement des forces régressives à tous les niveaux. C’est au fond la même démarche qui me conduit à réunir, avec Heiko Maas, ce que j’appelle les puissances de bonne volonté dans une alliance pour le multilatéralisme et à vous réunir, femmes et hommes de bonne volonté, déterminés à retrouver l’esprit de coopération et l’esprit de progrès et à travailler ensemble par delà la diversité de vos horizons et de vos parcours.
Dans le monde, comme ici en Bretagne, la question est de savoir si l’esprit de progrès peut l’emporter sur l’intransigeance et les anathèmes. Cela n’a rien d’évident car la simplicité est toujours plus tentante que les explications complexes, le soupçon du complot plus réconfortant que le constat que nous sommes parfois les responsables de nos propres difficultés.
C’est la démocratie, à la fois comme mode de gouvernance et comme ensemble des valeurs, qui est attaquée. C’est une offensive idéologique mondiale. Derrière les cyberattaques, derrière les campagnes de désinformation, derrière les fake-news, derrière la relativisation des valeurs, il n’y a pas seulement le repli sur soi ou la volonté de déstabiliser. Il y a la régression de l’espace démocratique, y compris en Europe : nous ne pouvons pas être les somnambules d’une Europe amollie.
L’antisémitisme, l’homophobie, la haine des institutions démocratiques sont autant de signes que cette idéologie du rejet progresse dans notre société, comme elle progresse au niveau mondial.
Il y a de nombreuses explications à cela : les difficultés, réelles, que certains d’entre nous rencontrent –fins de mois difficiles, sentiment d’être exclu ou assigné à résidence- ; un ascenseur social qui semble en panne ; les inégalités qui se creusent ; l’erreur que nous avons tous commise d’avoir cru, à la fin de la Guerre froide, que la démocratie était un bien acquis. Qu’elle était définitivement consacrée comme le meilleur mode de gouvernance incontestée, et incontestable, et qu’elle avait besoin d’être défendue. Je pense, au contraire, que nous constatons à quel point elle est fragile et doit être prolongée.
Si nous ne voulons pas, nous aussi, être emportés dans ce mouvement –et j’ai des raisons de croire que la France est une cible prioritaire pour les partisans du rejet- nous devons agir. On ne peut simplement subir et se défendre. Faire le dos rond n’est pas une option.
Faire le choix du progressisme, c’est avoir le courage d’aller à l’encontre des tendances dominantes, et de résister aux réflexes de repli et d’exclusion qui prévalent dans une partie des opinions publiques. Le progressisme, c’est aussi le courage de défendre la solidarité, la fraternité, l’ouverture, le respect. Et ce choix, dans un monde où certains plaident le chacun pour soi, il ne va plus de soi. C’est un courage que nous devons avoir si nous voulons laisser à la génération qui nous succèdera les mêmes garanties de paix, de sécurité et de qualité de vie –si ce n’est de meilleures- que celles avec lesquelles nous avons grandi et vécu.
Un haut responsable des Nations Unies me disait : « Il y a eu, dans le passé, des « Internationales ». Elles s’appelaient ouvrières, elles voulaient changer le monde. Il y a aujourd’hui une Internationale qui s’organise dans le monde, celle du repli et de l’intolérance. Elle avance ses pions partout. Il faut que les progressistes dans le monde se réveillent et se rassemblent partout où ils peuvent le faire. »
Alors, pourquoi la Bretagne ?
– Parce que la Bretagne a toujours été une terre de tolérance, de créativité et d’ouverture.
– Parce que la Bretagne porte l’humanisme en elle. C’est le socle qui unit les démocrates chrétiens et les sociaux démocrates (rencontre féconde entre la République laïque des lumières et le christianisme social).
– Parce que la Bretagne a épousé l’Europe comme elle a épousé la République : toujours à l’avant- garde d’une Europe qui affirme sa souveraineté, une Europe qui protège, une Europe qui régule. Alors que l’Europe est en danger et que des forces se mobilisent pour la détruire.
– Parce que la Bretagne a toujours su se rassembler quand ces fondamentaux là étaient en cause. Et c’est bien le cas aujourd’hui.
Voilà pourquoi je vous propose qu’on travaille ensemble.
OK, cela fait un peu CELIB : qui réunissait le démocrate chrétien Paul Ihuel, le socialiste Tanguy Prigent, le radical André Morice, le Président Pleven qui était membre du gouvernement (comme quoi on pouvait participer au gouvernement et se passionner pour la Bretagne).
On peut même soutenir un Président de la République et se passionner pour la Bretagne, et je ne cache pas mon attachement à l’action du Président de la République, je m’entends très bien avec lui.
Mais différent : Il s’agissait alors de faire de la Bretagne une priorité de la politique d’aménagement du territoire, d’enrayer le déclin, de retrouver l’héritage culturel. Aujourd’hui, notre but n’est pas de combler un retard pour rattraper le reste du pays, mais de prendre une avance dont la France peut s’inspirer. De prendre une avance dans les régions d’Europe.
D’être un référentiel de ce que peut être le progressisme.
Je vous propose de travailler ensemble.
Breizh Lab : CELIB du 21è siècle, peut-être, ça dépend de ce que l’on en fera.
– Ce n’est pas un nouveau parti politique : il y a ici des sensibilités différentes : En Marche, Modem, Socialistes, Radicaux, Centristes, tout le monde n’est pas dans la majorité.
Mais c’est cette vision commune qui nous réunit. Il y en a ici, ils vivent leur vie, mais ils peuvent se rassembler.
On sait d’où je viens et on sait mon soutien au Président de la République.
– Un lieu ouvert sous réserve de partager les valeurs communes et de les défendre quand elles sont menacées.
– Un lieu de travail et de propositions qui interpelle et qui peut être repris par d’autres, militants associatifs, entrepreneurs, universitaires.
4 pôles de réflexions
Premier pôle, celui qui porte sur la place de la Bretagne en France, en Europe et dans le monde. J’ai décrit le contexte dans lequel nous devions travailler et le lien entre les enjeux internationaux, européens, nationaux et régionaux. Notre réflexion doit être profondément démocrate et humaniste. De la même manière que les membres du CELIB avaient des cultures différentes, mais des racines communes dans la Résistance, de la même manière ce que nous faisons ici découle d’une démarche plus globale de résistance contre le réseau qui, dans le monde, associe les populistes, les démagogues, les ennemis de la démocratie. Pour faire vivre concrètement notre aspiration au dialogue et à la coopération, nous devons nous poser des questions simples : comment aider à la réflexion ? Qu’attend la Bretagne de ce quinquennat européen ? Qu’a-t-elle à apporter à l’Union elle- même ? Comment réagit-elle au départ de nos voisins britanniques et quelles relations avec nos cousins irlandais ? Deux grandes politiques communes la concernent de très près, l’agriculture et la pêche: la Bretagne doit les inspirer et chercher à les faire évoluer s’il le faut: innovation/numérique/cyber.
Le deuxième pôle part du constat que l’on ne peut pas être humaniste sans penser profondément la question environnementale. Cette question n’est pas une question parmi d’autres, elle est celle qui détermine toutes les autres. L’humanité est dans une situation exceptionnelle. Pour la première fois dans son histoire, il lui revient de décider si elle a un destin sur cette terre, ou si elle décide elle- même, en ne changeant rien à sa manière d’être, de créer les conditions de son recul.
Nous devons démontrer qu’on ne peut bâtir un consensus au niveau territorial entre citoyens, producteurs, agriculteurs, entreprises, pour une réelle politique de transition écologique. Pas une politique centralisée qui se fonde d’abord sur l’accroissement des taxes et la rigidité des normes. La politique de transition énergétique ne peut pas se limiter à un projet de loi qui s’appliquera uniformément sur tout le territoire. Les problèmes de la Bretagne ne sont pas ceux de la Corse et ceux de l’Ile de France, ni ceux de Saint-Martin. Il faut que chaque territoire invente ses solutions, selon ses atouts et ses contraintes, mais avec une ambition commune à tous. Car, c’est ma conviction, c’est d’abord et principalement au niveau régional que l’on pourra réconcilier la résolution des fins de mois et de la fin du monde.
Le troisième pôle, c’est la conjugaison entre l’innovation sociale et la création entrepreneuriale, conjuguer notre formidable capacité à innover, à créer de la richesse et notre conviction que rien ne se fait sans acceptation sociale. L’identité de la Bretagne est faite de solidarité. Elle n’en a pas l’exclusivité, mais elle en a la force (cf mutualisme et coopération en Bretagne).
Peut-on être le laboratoire des propositions récentes de 18 organisations et des 66 propositions (dites Berger-Hulot) pour donner à chacun le pouvoir de vivre ?
Peut-on être le laboratoire de la loi PACTE (Plan d’Action, de Croissance et de Transformation des Entreprises), votée par le Parlement, y compris dans sa dimension sociale et environnementale ?
Peut-on être le laboratoire d’une nouvelle solidarité avec nos très anciens ?
Le quatrième pôle tourne autour du triptyque : déconcentration/décentralisation/différenciation.
La Bretagne et les bretons entendent décider de leur destin. Ils montrent, et ont toujours montré dans leur histoire, une fidélité à la République, à ses valeurs et à ses principes, mais ils veulent que l’Etat leur lâche un peu la bride. L’Etat doit apprendre à ne pas vouloir continuer à cogérer les domaines où la décentralisation est en œuvre. Notre démocratie a besoin de respiration, d’encouragements, de confiance. La Bretagne doit pouvoir travailler à sa manière sur les questions qui la concernent, sur la question culturelle par exemple et sur ses langues en particulier, bretonne et gallèse. L’uniformité n’apporte pas le bien-être, ni la paix sociale, elle ne résout pas les problèmes écologiques ou économiques. Nous devons donc réfléchir à ces questions : jusqu’où aller dans la décentralisation, dans la régionalisation, dans l’autonomie fiscale et financière de nos collectivités dans le cadre d’une France renforcée par un Etat concentré sur ses missions centrales, garant de la cohésion sociale et territoriale, fixant des objectifs pour tous, mais en laissant chaque territoire libre des choix pour les atteindre ? J’invite sur ce terrain à oser l’audace, à forcer l’imagination, à garder le réalisme quand même. Je suis persuadé qu’on peut aller loin en tenant les deux bouts de cette chaîne !
Romain Pasquier va nous en parler.
Je vais arrêter. Je vous invite à faire Bretagne Ensemble dans une Europe qui doit se refonder.
Je vous invite à retrouver ensemble l’esprit de progrès dont nous sommes porteurs dans notre histoire. Ayons ensemble une Bretagne d’avance !
Jean-Yves Le Drian
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