Une Bretagne en Europe qui construit sa différence – Proposition 4
Une Bretagne en Europe qui construit sa différence
Par ces mots, André Siegfried, père fondateur de la science politique hexagonale, soulignait dès 1913 dans son Tableau politique de la France de l’Ouest, l’originalité de la Bretagne et sa relation singulière à la France.
En ces temps troublés où la question territoriale est plus que jamais en haut de l’agenda politique, la Bretagne fait face à des défis multiples de transition économique, de solidarité territoriale, de fatigue démocratique. Comme toutes les régions de France pourrait-on avancer. Sans doute mais son histoire multiséculaire, son identité puissante et ouverte, sa capacité d’action collective maintes fois célébrée lui donne aujourd’hui une responsabilité particulière.
Comme l’écrit Jean-Michel Boulanger, universitaire, écrivain, et vice-président de la Région Bretagne de 2010 à 2021 « L’identité bretonne a été méprisée quand il s’agissait de construire la France ; cette identité bretonne a été revendiquée, contre Paris, au XXe siècle ; aujourd’hui les Bretons sont Bretons et sont Français. Ces deux identités ne s’opposent plus, se vivent de manière complémentaire, sur des registres différents (…). Être Breton aujourd’hui, c’est cela. Être de Bretagne et du monde. Nourrir un sentiment d’appartenance à la Bretagne tout en restant ouvert aux autres ». Bretons, français, citoyens du monde, certes ! Mais aussi, intensément européens.
La Bretagne n’a jamais manqué un rendez-vous avec l’Europe quand le suffrage universel était appelé, qu’il s’agisse de l’élection des députés européens depuis 1979 ou de répondre à une question référendaire depuis 1972. Elle était pourtant bien loin du cœur du continent et son activité agricole n’avait pas encore épousé la modernité. Mais son esprit de solidarité, son goût de la coopération, sa pratique du partage, sa générosité l’ont conduit à devenir une terre européenne au bout de l’Eurasie.
Dans la France que nous vivons, avec les crises qui surgissent, que serait le déroulement de celles-ci sans l’euro ? Une cascade de dévaluations, des spéculateurs aux aguets, des taux d’intérêt envolés, une dette coûteuse, des prêteurs hésitants ou refusant. Au total, des crises encore plus dures et plus longues à s’en remettre. Fédérale ou confédérale, souverainiste ou libre-échangiste, l’Union sait se montrer souple et s’adapter aux circonstances. Elle vient de le démontrer face à la pandémie en faisant sauter des digues, nécessaires par temps calme, bloquantes en temps de tempête.
Rien ne serait pire pour l’Europe que le désamour de ses peuples. Les directives, les règlements, les fonds structurels, les budgets, le fonctionnement institutionnel, les plans de relance, la monnaie, la dette, le marché, la concurrence : tout cela occupe le lot quotidien de la vie européenne. Et c’est nécessaire. Mais l’Union est plus que tout cela : des valeurs, des principes, une histoire, des souffrances, des peuples si divers et à la fois si proches, un mode de vie, au total une civilisation. On est européen quand on pense aux autres, et pas seulement pour recueillir les fonds européens ou bénéficier de la PAC. Tel est l’objectif des propositions que le Breizh Lab soumet à discussion avec qui les jugera utiles.
Le monde d’après, la France d’après, la Bretagne d’après font en ce moment, et à juste titre, l’objet de multiples réflexions pour trouver le bon chemin consécutif à cette crise sanitaire inattendue et brutale qui a mis à mal l’économie mondiale. Elle a aussi ébranlé des certitudes et secoué des pensées bien établies. Elle a contribué à démontrer la nécessité et même l’obligation d’une Europe unie et renforcée. Nancy Pélosi, Présidente de la Chambre des Représentants à Washington, a donné des USA une définition qui vaut pour notre Europe : « Notre diversité fait notre force et notre unité fait notre puissance ». C’est vrai de l’Europe, comme c’est vrai de la France forte de la diversité de ses régions.
Il s’agit donc tout à la fois de doter la Bretagne d’une structuration et d’institutions en adéquation avec sa singularité au sein de la Nation et d’afficher le caractère résolument européen de sa celtitude.
Vers une Assemblée de Bretagne
Une Bretagne plus bretonne d’abord ! Grâce à son ADN empreint d’action collective, la Bretagne peut montrer la voie d’un modèle de développement productif, mais plus sobre ; la voie d’un modèle démocratique, mais plus inclusif ; la voie d’un modèle d’action publique performant, nécessairement plus décentralisé. Le défi n’est pas mince. Car, paradoxalement, le modèle français de décentralisation a affaibli la Bretagne depuis une trentaine d’années. Il a en effet fragmenté le pouvoir politique en une myriade de féodalités locales.
La Bretagne, comme les autres régions françaises et européennes, doit faire face à des mutations socioéconomiques majeures, à des inégalités territoriales croissantes. Des pans significatifs de la population bretonne souffrent, et ont l’impression de faire partie des perdants. Les braises des « Bonnets rouges » ou des « Gilets jaunes » sont loin d’être refroidies. La Bretagne a besoin d’idées nouvelles et de leviers puissants pour leur donner corps face à tous ceux qui continuent de résister à l’inéluctable : l’avènement d’une société à la fois plus ascendante et plus horizontale. Le moment est venu de valoriser cette singularité bretonne d’un modèle politique coopératif et ascendant, de plus en plus éloigné d’un modèle hexagonal victime de sa verticalité descendante.
Deux scenarii s’offrent aux Bretons. Le scénario de la normalisation tout d’abord. Celui de se normaliser, de ne plus se rebeller, et donc de subir les changements présents ou à venir. Ou, au contraire, imaginer un scénario de différenciation. Comme elle l’a toujours fait dans son histoire, la Bretagne peut faire le choix de se différencier, de montrer la voie. Par le passé, elle a montré la voie de l’aménagement du territoire à travers le CELIB, elle a montré la voie du développement local par la participation citoyenne avec Paul Houée dans le Mené, elle a montré la voie de l’identité heureuse du local à l’Europe, elle a montré la voie d’une cohabitation intelligente et fructueuse entre ceux qui ont la foi et ceux qui ne l’ont pas, ceux qui croient, et ceux qui ne croient pas.
En France, l’État s’occupe de tout et trop souvent de détails. Qu’il se concentre sur le régalien ! Et que le principe de subsidiarité s’applique : la responsabilité d’une action publique doit revenir à l’entité la mieux qualifiée pour la mener. Pour adopter cette voie de la différenciation, la Bretagne doit impérativement remédier à sa fragmentation politique en se dotant d’une collectivité intermédiaire unique qui puisse avoir la capacité d’être le chef d’orchestre de l’ensemble des politiques non régaliennes. L’idée serait de créer une nouvelle entité, une collectivité unique, la Collectivité territoriale de Bretagne, « l’Assemblée de Bretagne », avec un organe délibératif, élu au suffrage universel, et un conseil exécutif, élu au sein de l’Assemblée.
Trop de couches, trop de collectivités et des responsabilités croisées rendent opaque notre organisation : communes, intercommunalités, départements, régions. Qui fait quoi ? Il faut vraiment être initié pour s’y retrouver ! Une telle Assemblée de Bretagne ne ferait pas que se substituer au conseil régional, elle pose la question de l’utilité des conseils départementaux. Un dialogue sera engagé avec les élus des quatre assemblées pour examiner les modalités d’exercice des actuelles compétences pour qu’elles restent au plus près des populations concernées. Les élus régionaux et départementaux, potentiellement réticents, voire hostiles, à la disparition de leurs assemblées, doivent prendre en compte les enjeux pour la Bretagne, ne seraient-ils pas plus efficaces en étant élus à une Assemblée de Bretagne aux compétences élargies ?
Dissocier le pouvoir législatif, délibératif, et le pouvoir exécutif, c’est la base de toutes les démocraties, c’est déjà le cas en Corse, en Alsace (au sein de la région Grand-Est) et dans plusieurs collectivités d’Outre-mer. De fait, la substitution d’une assemblée régionale aux conseils existants est la voie qui a été adoptée par les régions soucieuses de préserver et d’affirmer leur identité.
Les communes, les intercommunalités, l’assemblée de Bretagne, trois collectivités avec chacune des compétences bien identifiées, ce modèle de gouvernement de la Bretagne l’armerait pour valoriser ses différences dans le concert des régions européennes et pour combler le retard qu’elle a pris sur des sujets cruciaux si on la compare à nombre de territoires d’Europe du Nord : énergies renouvelables, mutations du modèle agricole, politiques de mobilité, innovations éducatives ou du vivre ensemble.
La nouvelle Collectivité territoriale de Bretagne, l’Assemblée de Bretagne, exercerait les compétences aujourd’hui exercées au niveau départemental et au niveau régional, complétées par celles qui lui seraient dévolues par l’État. Cette nouvelle organisation de la région s’accompagnerait donc du transfert de l’ensemble des politiques non régaliennes de l’État et des services déconcentrés afférents à la Collectivité territoriale de Bretagne (culture, développement économique, aménagement, santé publique). Cette collectivité contractualiserait avec chaque intercommunalité, également selon le principe de la différenciation. Ces intercommunalités pourraient ainsi se voir transférer des compétences et des moyens aujourd’hui assurés par les Conseils départementaux ou par le Conseil régional.
Au nom du principe de différenciation, cette Assemblée devra être dotée d’un pouvoir réglementaire. Comment en effet peser sur les enjeux de l’alimentation, des énergies renouvelables, des mobilités, de la formation professionnelle ou des transports sans un pouvoir réglementaire adéquat ?
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